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Tactique, Stratégie et Micrométéorologie

 

par Didier WISDORFF
Ingénieur à Météo France et Météorologue de l'Équipe de France Olympique depuis 1989.

 

 

Introduction

La réussite sportive est le produit de trois facteurs: le talent le travail et la chance (Voltaire... il me semble). L'objet de mon intervention est de diminuer avec vous tous cette dernière en essayant de tendre vers une approche commune.

Dans le domaine de la stratégie l'arme absolue n'existe pas. Il y a seulement de moins mauvaises réponses que d'autres. L'atmosphère est en effet un fluide turbulent; de plus les dimensions spatiales de la régate sont assez faibles (bien qu'un peu différentes suivant les séries), et l'échelle de temps courte. La proximité terre-mer induit aussi des effets de toutes sortes qui compliquent encore le phénomène.

Selon moi la stratégie se distingue de la tactique. Cette dernière repose sur le comportement à adopter par rapport aux adversaires. La stratégie s'occupe d'optimiser son comportement par rapport aux éléments.

Le coureur doit devenir autonome et non dépendant. Il doit apprendre à raisonner par lui-même, mais on peut organiser sa démarche et l'aiguiller. Il se trouvera ensuite totalement seul. Dans ce domaine, entraîneurs, météorologues et coureurs doivent tendre vers une démarche commune. Cette démarche est déjà bien initialisée.

 

 

1. Les éléments à prendre en compte dans un projet stratégique

Dans toute analyse stratégique, trois facteurs sont à prendre en considération, qui ne seront pas hiérarchisés de la même manière selon les plans d'eau, le jour et l'heure: l'état de la mer; le courant. Cet élément est important à prendre en compte car cela peut fausser l'analyse du plan d'eau si il n'y a aucune observation ou prise d'information à ce niveau; le vent.

On pourrait proposer la définition suivante de la stratégie: processus de prise de décision concernant les phénomènes naturels à l'aide d'éléments parfois contradictoires qu'il faudra hiérarchiser. On pourrait ajouter qu'il est fondamental de savoir mettre à la poubelle une hypothèse que les faits expérimentaux ne confirment pas.

Le vent est l'élément le plus important. Le courant, bien que quelquefois élément négligeable, peut expliquer de nombreuses situations. L'état de la mer, dans certains cas peut permettre de deviner le courant. Signalons tout de suite qu'en aucun cas il ne faudra supprimer les sensations " feeling ". Cette qualité est essentielle. Cependant, quelques compétences plus rationalistes supplémentaires devraient profiter au coureur de façon complémentaire, à condition de tenir en laisse une trop grande " technicité ".

 

 

2. Les phases de l'activité stratégique

Concernant la stratégie, le facteur temps doit être décomposé en trois moments : avant, pendant, et après.

 

2.1. Avant la compétition

Réunir de la documentation est très utile, de préférence celle qu'on aimerait retrouver la prochaine fois (pilot charts, instructions nautiques, atlas divers, comptes-rendus précédents). A ce sujet notons que bien que cela s'améliore, il y a encore des difficultés à trouver une documentation exploitable par tous sur des plans d'eau régulièrement visités par les compétitions internationales. Signalons, comme cela est souvent dit, que l'on n'est pas systématiquement dans des situations exceptionnelles. Bien que l'approche statistique soit réductrice, elle demeure d'un intérêt certain lorsque l'on ne peut s'appuyer sur rien d'autre. A titre d'exemples, Perth était un plan d'eau venté, San Diego calme, Barcelone varié et à Savannah il est peu probable que l'on rencontre des vents du demi-cercle NW. Je précise que Savannah était décrit par les coureurs informés comme un plan d'eau " sans vent ", avant d'y aller.

 

 

2.2. Avant la manche

Tranquillement à terre, on prépare sa journée. D'abord observer, le vent, le ciel, le courant (à absolument préparer à l'avance). Ensuite en fonction des moyens disponibles (cartes, bulletins, expérience) on prépare la " fiction-prévision " avec les moyens dont on dispose (répondeurs téléphoniques de Météo-France, cartes, prévisions diverses...). C'est un cadre grossier pouvant comporter plusieurs hypothèse.

 

2.3. Pendant la manche

Sur l'eau avant la régate ou l'entraînement on observe encore et toujours: le vent se lève-t-il de la bonne direction ? La renverse de courant s'est-elle faite ? L'état de la mer est-il homogène ? Les cumulus commencent-ils à se former ? On recible les hypothèses, le cas échéant on recrée une nouvelle hypothèse " fiction " en n'hésitant pas à éliminer ce qui ne semble pas confirmer par les observations (exemple: le ciel est totalement couvert alors qu'on avait fait une hypothèse de brise thermique). Au cours de l'avancement de la journée, on persiste dans la démarche.

 

2.4. Après la manche

Le débriefing est ensuite essentiel et doit être pratiqué à chaud, sinon l'information est trop souvent perdue. Ou le phénomène est aléatoire et on " démissionne ", ou certains effets sont reproductibles et cela pourra resservir une autre fois ici ou ailleurs. Dans l'état actuel des connaissances toutes les régates ne peuvent pas être expliquée, mais quand on en a compris une avec des signes visuels parlants, c'est déjà ça.
Sans mesures sérieuses pas de débriefing efficace. Aussi faut-il se livrer à des mesures, tout en ayant conscience que les mesures des entraîneurs ne sont que des sondages périodiques, tandis que le coureur fait des mesures en continu. Ces derniers par contre ne mémorisent pas toujours l'événement de la même manière (deux coureurs ayant tiré les mêmes bords n'ont pas toujours les mêmes diagnostics). Insistons sur un point: une mesure de vent sans mesure de courant, peut souvent conduire à un constat faux s'il y a un gradient spatial de courant.

 

 

3. Hiérarchisation des éléments

Hiérarchiser c'est bien... mais comment ? Revenons aux trois éléments qui gouvernent la stratégie.

 

3.1. L'état de la mer

Si visuellement on constate des différences dans l'état de la mer, il y a une raison et c'est souvent un signe à ne pas manquer. Gradient de courant ? Effet de protection d'une île ? Différence de salinité de l'eau ? Différences de profondeur de l'eau (hauts-fonds) ? Dans la gamme de vent faible, la rentrée de vaguelettes ou parfois de houle est souvent un bon signe de l'arrivée d'un nouveau vent.

 

3.2. Le courant

Les modèles c'est bien, la compréhension c'est mieux. On dispose, au moins sur certains sites, de cartes. Il faut les mémoriser à l'avance pour les heures de marées du jour et compte tenu du profil des fonds les amender s'il y a lieu. Des différences d'aspect de la mer sont souvent un indice le gradient de courant.

 

3.3. Le vent

1. Synoptique / Thermique

Sous ce vocable générique de "vent", il y a de nombreuses structures différentes, sans doute insuffisamment connues. D'abord des constats grossiers: est-il d'origine synoptique ou thermique ?

Dans le premier cas on peut ranger les vents forts, les ciels chargés, les vents qui soufflent de la mer la nuit ou le matin, les vents parallèles à la côte. La pression est plutôt basse. L'évolution de ce type de vent est gouvernée par la grande échelle, c'est-à-dire le mouvement des centres d'action et des fronts (approche front plutôt à gauche, passage front à droite) généralement les approches de perturbations où les secteurs chauds sont faiblement oscillants et les variations angulaires du vent assez faible. A proximité du front froid, la structure devient plus turbulente, l'aspect rafales prédomine et il y de grandes différences spatiales. Les vents de terre persistants dans la journée sont aussi d'origine synoptique, ils sont caractérisés par une forte turbulence, s'échappent par les points de bas de la côte et leur structure est aléatoire (pas de relation nette entre rotation et renforcement). Sont thermiques bien souvent les vents faibles à médium, surtout si l'instabilité est présente, la température suffisante, la nébulosité pas trop forte. La pression est plutôt forte. Dans ce type de vent, trois stades sont à distinguer, bien que l'on évolue le plus souvent dans le second:

  1. l'établissement: globalement, ça tourne vers la direction de la brise au " moindre effort " sans nécessairement l'atteindre, mais il y a aussi quelques phases de retour, si ça vient de partir fortement à droite ça reviendra temporairement souvent à gauche. Un choix s'impose.
  2. la maturité: le schéma oscillant prédomine avec une faible tendance droite. Il faut être en phase. La rotation est faible devant les oscillations qui d'ailleurs diminuent d'amplitude.
  3. la fin: ça retourne vers la terre " au moindre effort ", il faut privilégier un bord. Suivant les jours et les conditions, l'établissement peut être très long ou relativement rapide.

 

2. Effets dus au relief

D'autres effets sont susceptibles de se produire, parmi eux ceux liés au relief qu'il soient au vent bien sûr mais aussi sous le vent. Contournement si air stable et relief accentué, franchissement si air instable, vent plus fort et relief faible. On observera dans ce cas des effets de sites. c'est-à-dire qu'en revenant au même endroit dans les mêmes conditions on retrouvera le même effet.

 

3. Effets liés aux nuages

Dans ce domaine mon avis est de privilégier la méthode expérimentale d'abord. Toutes les occasions de vérifications sont bonnes, alors que les moyens d'étude du phénomène sont assez rares.

Pour les nuages instables (il y a du bleu et du gris ou du noir), on peut distinguer en gros deux mécanismes: les nuages précipitants (l'air s'échappe sous le vent du nuage), et les autres (l'air est aspiré) qui donnent un survente au vent ou à droite du nuage. Les organisations en " lignes " ou en " rues ". S'il y en a plusieurs ce sont des rues à traiter comme de micro talwegs. Sinon les lignes isolées sont à traiter comme des convergences. Les ciels couverts par strato-cumulus développent plutôt des oscillations lentes. Attention la fréquence des oscillations augmente contre le vent et diminue au portant, (effet DOPPLER). Si les nuages, surtout bas ou moyens, reviennent d'une direction différente du vent actuel sur le plan d'eau, le vent tournera vers la perpendiculaire à l'axe nuageux au moindre effort. Les cumulonimbus peuvent tuer la brise et le vent reviendra alors du nuage, au moindre effort.

 

3.4. L'interaction vent / courant

Par vent constant et courant constant, il n'y a pas d'impact significatif sur la stratégie. Par vent variable en force et courant traversier constant, il semble alors préférable d'éviter les trous, mais aussi de profiter du vent plus fort pour remonter le courant, le bord courant défavorable étant utilisé dans la " molle " (voir vent courant).